Actes du convent de Willemsbad

Session VIII du 25 juillet 1782

7 février 2004

L'ordre du jour appelle la suite de l’étude des actes du convent de Willemsbad, session VIII du 25 juillet 1782, session courte, protocoles volumineux, avec la question centrale de l’origine de la maçonnerie, il y a 2 textes en allemand dont un seul est traduit en français.

& point 1 : nous notons l’arrivée du frère a Circulis, Comte de Virieux qui signe la convention préliminaire et prend place à côté d’ab Eremo.

& point 2 : les protocoles de la veille sont lus.

& point 3 : nous savons qu’un comité secret de 9 membres est déjà formé à la demande du frère Eques Leone Resurgente suite à des informations qu’il aurait eu sur la filiation templière : son rapport est lu ce jour : il indique la prudence du frère quant à ces révélations (en fait a Leone Resurgente a vraisemblablement cru au début aux révélations secrètes, mais les frères a Serpente et a Capitéo Galéato y portent certes un intérêt mais pense que cela ne tient pas debout et ainsi le frère Léone Resurgente fait marche arrière en appelant le comité à la modération et la prudence).

L’actes 76 précise simplement que la maçonnerie doit soulager les maux de l’humanité.

& point 4 : Le frère Bodecker lit un rapport au sujet de l’origine de la maçonnerie : Il est intéressant de saisir ce que pensent les maçons du XVIIIème siècle donc vivant près du début de la maçonnerie spéculative ; nous savons par ailleurs que Willermoz détruit la théorie de la transmission en disant « cela a été inventé début du 18ème siècle ».

Cela nous renvoie à la traduction française du long acte 77, intitulé : « mes pensées sur l’Origine de l’Ordre ».

Il est admis qu’il y a aucun rapport avec les constructeurs de cathédrales ; la référence aux bâtiments gothiques est exprimé comme des « choses ridicules », ceci reprenant l’idée d’Anderson dès 1723 parlant des « ruines de l’ignorance gothique ».

Il est à noter que le gothique apparaît au 17ème siècle, il est attribué aux Goths, il est signe d’obscurantisme, d’ignorance et le terme « gothique » est plutôt insultant ; Par ailleurs, une chose intéressante, la qualification de moyen-âge a été inventé au 15 ème siècle et il s’agit alors d’une qualification assez péjorative en rapport à l’art gothique …qualification faite ainsi bien après le moyen-âge, alors que le terme Renaissance, nomme instantanément la période de la Renaissance (15éme siècle en Italie, 16ème siècle en France et 17ème siècle en Grande-Bretagne, renaissance concomitante à l’inspiration de la maçonnerie spéculative).

Revenons au rapport : chacun est d’accord sur l’ancienneté de l’Ordre, pouvant remonter à Salomon, Noé voire Adam et sur le but de l’Ordre en l’occurrence découvrir « toutes les connaissances nécessaires pour devenir heureux dans ce monde et dans l’autre ».

Un thème proche de l’instruction de Willermoz de la Profession est développée alors : l’idée est la suivante : à l’origine des temps, toutes les connaissances sont répandues entre les hommes, mais, à un certain moment à cause d’une certaine perte de principe de l’humanité, la vraie connaissance est (et ceci bien après la chute) réservée à un petit nombre d’hommes élus, ce qui permet de maintenir ce dépôt devenant secret pour être mieux conservé, transmis et non prostitué . Dans la filiation, le symbole est fait pour cacher quelque chose de précis : c’est une sorte de paravent derrière lequel des connaissances primitives sont cachées.

Ensuite est introduit l’idée d’un rapport entre la maçonnerie et les mystères antiques : ceci est intéressant car jusqu’alors, tous les grades ont des références bibliques (plus souvent judaïques que chrétiennes même) ; ors en 1780, il est introduit l’idée de cette filiation avec les mystères antiques, par là sont entendus les mystères grecs et romains, sachant que les mystères égyptien tels ceux d’Isis et d’Osiris sont de source tardive et répandus plus en dehors d’Egypte qu’en Egypte même. Tout ceci est intéressant car c’est un tournant par rapport aux seules origines judéo-chrétiennes : est-ce un complément ou une opposition ?

Puis le rapport dresse un « Tableau des Mystères » existant au moment ou Jésus-Christ arrive dans le monde « pour tirer le Voile » : la vision de ce dernier est plutôt protestante ; il enseigne la morale, il fait voir la vérité sous des paraboles,, il promet la félicité temporelle, il fait des miracles et chose importante se profile deux choses :

  • d’une part, « il jette les fondements de la société, sous le nom de l’Eglise , en l’occurrence ce sont bien les prêtres et les évêques qui sont destinés à faire des conversions »
  • d’autre part, il propose « des successeurs gardant le secret et formant un corps appelé ordre, se constituant ainsi à part pour faire des heureux ».

Ceci est ambigu : Y aurait-il une religion du peuple toute différente de celles des élus ?

Ceci est une vision du Christ très spéciale : il est à noter par ailleurs que la traduction française ne reprend pas les termes écrit en allemand parlant de « Jésus-Christ, homme extraordinaire », expression conforme à un certain libéralisme protestant : est-ce une censure pour des français majoritairement catholiques ?

Ainsi quelques divergences apparaissent entre les 2 traductions.

Puis le texte fait allusion à la filiation de l’ordre vu plus haut destiné à faire des heureux avec la fameuse histoire de l'Ordre des Templiers « des clervoyants prévoyant la chute aurait mis les trésors en sûreté pour faire renaître l’ordre de ses cendres sous un nom d’emprumpt soit la maçonnerie afin de retracer la mémoire de ce funeste accident » ; ceci va à l’encontre de ce qui se dit en 1780 en l’occurrence que la maçonnerie dans sa forme actuelle aurait été organisée de toute pièce au 17ème siècle en Angleterre ; puis nous notons un peu plus loin : « ces trésors ne seraient-il pas cachés sous le nom des Rose-Croix ?», en fait il ne s’agit pas de ceux que l’on connaît mais les autres, ceux de la pure tradition, ceux que l’on ne voit pas : ils sont invisibles : on ne les voit nulle part et ils peuvent être partout ; ceci rejoint le thème des supérieurs inconnus, il est même indiqué : « ces illustres inconnus voudraient-ils faire part de leur secret à la maçonnerie ? » ; l’auteur de cet acte en doute et préfère songer à préparer un « Système Générale de 3 Grades ».

Ceci renvoie à l’objet du convent : cela retrace la complexité de l’origine de l’Ordre, aucune piste n’est vraiment la bonne, ainsi on tente de restituer une légende templière sans y adhérer mais surtout il faut finir par avouer que l’on ne sait pas d’ou nous venons et, comme il faut s’en sortir, le moyen est de ficeler un système clair dans lequel on met l’essentiel des connaissances utiles ; ainsi le système à la fois cache une clef particulière, apporte des épreuves via les différents grades pour éprouver les frères et ramène la maçonnerie vers la quête de vérités premières …mais ces dernières existent-elles ? ceci est un peu désespérant ! ou alors serai-ce plus la quête de Qui que de Quoi ?

En fait le convent est un tournant : c’est une sorte de crise de conscience de la maçonnerie européenne, le convent va arbitrer sur l’origine et la nature de l’Ordre et le moyen de s’en sortir est de « faire un système stable dans lequel nous savons quoi mettre, en l’occurrence des emblèmes et des allégories cachant alors une science positive que l’on maîtrise » ; ceci explique parfaitement la structure pyramidale du RER, rappelant les « illustres inconnus obligatoirement au sommet du système ».

& nous passons ensuite au point 7 de la session VIII :

Le frère Eques a Leone reprend la motion qu’il avait présenté de la session VI ; il est remis sur le tapis la demande de lecture de la réponse d’A Fascia, ceci est habilement esquivé par ab Eremo.

& point 8 :

Le frère ab Hedera entreprend la traduction de lettres reçus des frères de Moscou.

Une seule est traduite en français dans l'acte 78.

Se pose la question : « l’ordre est-il une pure convention entre des personnes et construit de toute pièce ou est-il héritier d’une société plus ancienne ? » ; ainsi est abordé l’organisation conventionnelle de la Loge, se réglant sur l’esprit de son siècle ; mais l’origine de la vraie maçonnerie remonte à la Haute antiquité et au premier siècle du christianisme.

Est aussi indiqué : « le rituel maçonnique ressemble à la liturgie orthodoxe », ceci en référence peut-être à l’église orthodoxe relevant plus d’un pratique et d'une liturgie par rapport aux dogmes et aux règlements de l’église catholique.

Puis il est évoqué l’Ordre des Templiers et « l’espérance semée en nos cœurs , ceci suffisant pour nous convaincre ».

La conclusion que les frères russes en tirent est la suivante : de toute façon que cela soit une pure convention ou qu’il y ait une authentique filiation : peu importe, cela leur est indifférent.

Ensuite il est fait référence à la pierre écrasée : cette notion n’est pas retrouvé en France mais en Allemagne, cette pierre écrasée évoquant le but de rassembler de ce qui est épars , de retrouver en réunissant les morceaux dispersés l’unité première, peut-être même l’allégorie d’Hiram et la réunion de son corps démantelé ; cette pierre écrasée est différente de la pierre d ‘angle qu’ont rejetée les bâtisseurs ; n’existe –t-il pas par ailleurs l’analogie du Temple détruit et de la Pierre écrasée ?

Plus loin le frères russes parlent longuement de la chevalerie qui les a beaucoup intéressé, les « prenant aux tripes », les « cérémonies brillantes de la chevalerie » étant peut-être adaptée aux nombreux militaires russes membres de la haute aristocratie faisant partie de l’Ordre.

Plus loin les Russes s’opposent aux décisions des Suédois (rivaux militaires des Russes) Suédois qui, nous le savons, se sont désolidarisés de Willemsbad, faisant évoluer une SOT pour leur propre compte.

Nous connaissons par ailleurs les rapports particulier du Duc de Brunswick avec ces frères russes, dont le souverain n’est autre que Catherine II la grande, allemande de naissance dont le règne se termine en 1796.

Les frères concluent fermement sur leur assurance que le convent apportera utilité et prospérité commune de l’Ordre.

Les autres lettres non traduites en français seront étudiées lors de notre prochaine tenue ; ainsi nous pourrons voir si ces frères russes ont des vues différentes, contradictoires ou complémentaires.

Notre étude reprendra ainsi les actes 79 à 84 du point 7 de la session VIII.